Extraits choisis
(textes et citations)
documentaire L'Embellie, 1990
citation de René Etiemble, (1909-2002)
Les hommes naissent et meurent depuis un million d'années,
il n'écrivent que depuis six mille ans
citation de Jacques Tati, (1907-1982)
Le comique est parfois sérieux
Proverbe bouddhique
Si le doigt montre la lune, tant pis pour ceux qui regardent le doigt
citation Yves Ferry, intervenant agence Faut voir
Récit et écrit: il y a les mêmes lettres dedans;
je ne m'en avais pas encore aperçu de cette chose toute simple.
Textes lus et conversations: suivant écoute (peut contenir des erreurs de retranscription )
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texte lu par Yves Ferry (à propos de Béatrice, stagiaire)
Ces flammes qui font penser, penser, penser à son père qui cognait sans arrêt
Et tous les hommes qu'elle connaît, aujourd'hui, cognent encore.
Ils cognent, ils font les forts.
Ça remonte à loin ce passage de relais de père en fils.
On dirait comme un secret transmis de père en fils: les coups.
texte lu par Jean-Pierre Renault, intervenant agence Faut voir
Lettre ouverte à 56 millions 324 mille 281 français sur la perte de la langue.
Sentir que la langue française que nous portons là, dans nos bouches, sur nos propres langues, sur ces muscles très singuliers,
sentir la langue française sortir du trou de nos bouches,
sentir cette somme infinie de mots et de tournures déposées là, entre nos oreilles, dans la deuxième circonvolution du lobe gauche du cerveau, près de l'oreille gauche,
sentir que la langue française grosse des 80 mille mots du Grand Robert, nous serions en train de la perdre...
Nous ne saurions expliquer cette inconsciente sensation, mesdames, messieurs, écrire, lire, compter...
Un français sur 2 est illettré.
Comptons: (Si) chaque français cause en moyenne moyenne avec 17 interlocuteurs par semainev et que, 1 français sur 4 lit un livre par an,
comptons: un jeune de 15 à 17 ans sur 3 a perdu l'écriture et la lecture courantes
Serions-nous en train de perdre, avec la langue, la mémoire, le réel, le temps ?
Conversation Michel X, stagiaire, et Catherine Boskowitz, intervenant agence Faut voir
Catherine : "Et à quoi tu penses quand tu vas...[ à Bruay à l'APP, en vélo] ?"
Michel : "Je pense un jour arriver à faire du français correctement, sans faire d'erreur... pour ressembler aux autres."
Catherine : "Et puis à quoi d'autre tu penses ?"
Michel : "À rien; je fais le vide pour me retrouver moi-même."
Catherine : "Tu es heureux à vélo ?"
Michel : "Oui, parce que je n'ai pas de problème."
Catherine :"Michel, tu dis:"
Je ne veux pas que l'on me voit à l'image.Michel : "Je ne veux pas disparaître sans qu'on se souvienne de moi"
Catherine : "Tu dis: "
Il y a toujours la même phrase qui me revient à l'esprit : on va me rejeter parce que je ne sais pas lire, on va se foutre de moiCatherine : "Toujours cette question: qu'est-ce qu'on va penser de moi ? Comment je vais être reçu ?"
Michel : "Si mon frère il était encore là, il serait fier de moi.
Parce que il aurait vu que je n'aurai pas baissé les bras. sur le problème de français"
Conversation Catherine Boskowitz, Béatrice (stagiaire)
Béatrice: Je veux pas parler de mon père, c'est tout
Catherine: C'était quoi les horreurs ?
Béatrice: Le type qui avait tué ma mère..
Catherine: Qu'a tué ta mère?
Béatrice: Oui, avec un couteau, et nous on a pu rien prouver. Il avait pas de visage, on savait pas qui c'était ???
Catherine: Et tu le voyais, toi ?
Béatrice: Oui, je voyais son visage
Catherine: Tu voyais son visage ?
Béatrice: Oui, mais ??? dit rien.
Catherine: Et il te faisait peur ?
Béatrice: Oui
Catherine: Mais tu sentais que tu le connaissais ?
Béatrice: Non... ça faisait drôle...
Conversation Jean-Pierre Renault, Patrice (stagiaire)
Là où j'ai appris à lire et à écrire, c'est parce que je faisais faire mon courrier par un détenu, un copain et il n'y avait pas une intimité dans le courrier; ça veut dire que je pouvais... j'étais obligé de limiter ma correspondance. Je pouvais pas lui écrire des trucs, que seule elle aurait su. Donc j'étais obligé de limiter ma correspondance.
Bon et c'est justement le fait que elle, elle répondait donc positivement à mon courrier que je me suis décidé à apprendre à écrire et pour je puisse lui écrire ce que moi je voulais sans que personne ne le sache, surtout ça...
L'amitié c'est une fleur qui pousse sur un tas de fumier.
Mais tu vois, je m'arrête pas sur le tas de fumier je m'arrête sur la fleur.
Et devant mes yeux, le tas de fumier a carrément disparu...
Il reste ce qu'il a de beau: cette fleur qui fleurit sur cette merde.
C'est ce qu'il a de beau et ben la vie c'est un peu ça...
Bernard B (stagiaire)
Ma vie est un gros morceau !
Mon père m'a abandonné; ma mère avec. Et j'ai été placé à l'assistance
Tout ceci, c'est un peu dur de l'expliquer, mais j'essaierais quand même de faire mon possible.
Quand mon père il buvait, il savait plus ce qu'il faisait: il était comme fou de rage.
On a été placés à la DDASS.
J'ai eu des maladies; j'étais prêt à mourir; les médecins y disaient que c'était la fin; il faut faire quelque chose..
Et un jour une femme était venue comme ça. Elle m'a ramassé, elle m'a pris, elle m'a adopté...
Grâce à elle, au moins, j'ai vu le ciel qui s'est ouvert devant moi.
texte lu par Yves Ferry (à propos d'André, stagiaire)
J'ai vingt ans.
J'ai été exempté du service militaire. J'aurais voulu le faire surtout pour le permis. Mais j'avais des problèmes de lecture et tout ça.
J'ai jamais su lire.
Quand j'ai commencé d'aller à l'école j'avais neuf ans.
Au début j'ai fait des petites classes, après j'ai fait des grandes classes.
À l'école on me laissait dans un coin. La maîtresse elle s'en allait avec les autres. Avec moi, non.
Des fois elle venait, elle disait "Il faut faire ci; il faut faire ça".
À l'école j'arrivais à lire sur les tableaux, mais sur les livres, non.
Parce qu'au tableau la directrice elle lisait les mots à tout le monde. C'est pour ça que je les savais. Et dans les livres, non !
Il n'y a rien à faire. Il y a des mots ils sont durs et je m'énerve.
Il faut du temps pour bien lire.
Devant chaque mot il faut que je réfléchisse beaucoup. Faut que je me mêle en eux.
texte lu par Yves Ferry
Je parle au nom de la langue française: elle est là, la colère.
J'ai 20 ans, 30 ans, je suis prés de la retraite et ma main ne sait pas se servir d'un stylo.
Je ne sais pas de la tête à la main, commander le bon geste; tracer, courber mes lettres. Je fais n'importe quoi.
C'est même pas des défauts, c'est du hasard, de l'aveuglette, et des pâtés, de l'angoisse.
Je dis quelque chose, je sais pas écrire.
Je fais semblant, je croque, je fais la mouche.
Je suis devant un mur; je comprends rien.
Et je dis à mon père ce que j'ai jamais osé lui dire; jamais tant j'avais peur.
Je lui dit que je ne sais pas lire et écrire, je ne sais pas !
J'ai jamais osé lui dire et maintenant je vais pouvoir le dire.
A l'école j'y suis allé pour rien; on m'a abandonné; j'étais toujours perdu.
Regarde moi, regarde moi je suis un illettré, ignorant l'orthographe; j'ai honte !
Comment les filles voudront-elles de moi?
Comment je pourrais leur dire aux filles que je suis un âne ?
Je me demande toujours qu'est-ce qu'elles vont penser.
Et vous, vous pensez quoi de moi ? Avec vos questions et vos réponses...